« La voiture est comme un coffre jeté du haut d’un pont. On y étouffe. On n’y entend rien d’autre qu’un sourd et inquiétant rugissement. Le paysage tourbillonne dehors. On ne peut rien en saisir. »
Philippe Claudel
La côte Ouest me mène logiquement dans l’État de Californie. Paradis des Surfeurs, des blondes et des belles voitures…. mais pas seulement.
Très vite, le bord de mer s’éloigne et je m’enfonce dans les terres. La végétation se fait plus dense. Les buissons font place aux sapins et les sapins font place aux géants. La route traverse les Redwoods, là où se dressent fièrement certains des plus grands arbres du monde. Des séquoias qui pour certains ont plus de 1000 ans. On se balade mon vélo et moi sur plus de 100 kilomètres dans cette ancienne forêt. Pas un bruit, les voitures sont rares… quelques oiseaux poussent des piaillements discrets, mais le silence règne dans les bois. Nous nous laissons porter, en ayant la tête qui se décroche. La cime des arbres est à une hauteur inimaginable et je me sens si petit. Ok, ok, je vous l’accorde, du haut de mon 1 mètre 68 et des poussières, je ne suis déjà pas un modèle de grandeur mais là, là !. L’espace se dilate et j’ai le sentiment d’être une fourmi dans un champ de blé. Cette sensation m’enivre sans être oppressante, c’est même agréable. Me voilà dans un autre monde, une autre époque…
Puis les choses s’enchaînent, quelques belles montées, une grosse descente et la côte vient me frapper de plein fouette. L’air de l’océan, les pélicans, le soleil, Californie Baby ! La Highway 1, route légendaire, se déroule sous les roues. Rien n’est plat évidemment, cette voie réserve quelques beaux virages que je négocie avec brio et quelques belles montées que je passe en suant. Mais la vue est toujours splendide ! Le large, rien que le large entre ces collines et ces virages. Et j’apprécie quelques jolis spots pour une pause ou un petit déjeuner. Une fois de plus je me régale.
Et comme souvent, j’apprécie d’être sur un vélo. Comme dans les Redwoods, le temps passe à une vitesse humaine. Je passe plus de temps à admirer les paysages qui défilent que la route. J’y vois la vie des gens, y sens l’humus des vieux arbres ou les brises marines du Pacifique. Tout à une autre dimension et quand les gens passent en voiture, qu’ils s’arrêtent pour une photo vite fait et se renferment avec leur air climatisé recyclé, qu’ils repartent pour 300 kilomètres avant la prochaine pause pipi, je me dis que je n’échangerai ma place pour rien au monde.
Et un autre événement va me conforter dans cette idée. L’arrivée à San Francisco. Autant que je m’en souvienne, cette ville m’a toujours fait rêver. Avec mon frère, quand nous étions gosses, nous rêvions de ces descentes vertigineuses, des tramways uniques en leur genre et à l’énorme pont rouge qui relie la ville au reste du monde. Et plus j’approche de la ville, plus je revois les images, les photos de ce Golden Gate Bridge. Dès mon arrivée dans la baie, je le cherche des yeux, partout, me voilà comme un gamin qui veut voir le père Noël ou plutôt un collégien à son premier rendez-vous. Mon rythme cardiaque bat des records et la tête me tourne à force de chercher ce pont. Mais rien, rien de chez rien ! Des collines et des immeubles cachent le paysage alors je pousse sur les pédales pour y arriver, dans la montée, je laisse sur place les cyclistes aux vélos de carbone, je veux voir ce pont. Et d’un coup, entre deux collines, il apparaît ! Un hurlement de joie retenti et je plante sur les freins. Je ris et j’exulte. L’émotion est trop forte, les larmes me montent aux yeux et je m’assieds sur le trottoir en face du Golden Bridge. Me voilà à San Francisco, j’y suis arrivé en pédalant, toutes sortes de sensations explosent en moi et je laisse aller la pression, un sourire aux lèvres, comme souvent depuis le début de cette aventure, me voilà heureux.
Maintenant que je suis rendu, je prends mon temps. Des dizaines de photos, le franchissement du pont en chantant, d’autres photos de l’autre côté puis la traversée de la ville pour retrouver Kris avant son retour en Suisse. Je passe neuf jours de rêve à San Francisco, beaucoup de vélo, de jolies rencontres, du temps pour moi. Une de mes plus belles étapes !