Premier mois chinois

La frontière s’ouvre. La route se déroule sous les premiers tours de roues et je me fais aspirer dans un autre monde. Le choc est total. Sonore et visuel. J’en prends pleins les yeux et les oreilles. Les sons changes, les panneaux sont incompréhensibles, les crépitements des tricycles me font tourner la tête, l’odeur des cuisines me fait saliver… me voilà sur une autre planète. Welcome in China !

Premières impressions et étourdissements passés, me voilà les yeux grands ouverts pour observer ce pays que j’ai tant attendu. Tous les points de repères acquis depuis le début du voyage ne sont plus vraiment utile, je recommence gentiment à zéro et ça me plaît. Mais trêve de flâneries, l’objectif est clair : Pékin dans deux mois et demi sois plus de 4000 km.

Toujours accompagné des trois russes, nous prenons la route direction l’Est. Les premiers jours se passent sans problème malgré quelques désaccords dans le groupe, tout roule. Mais la montagne et l’hiver vont corser les choses.

La montagne, ce sera un col d’une bonne dizaine de kilomètres en lacet.

L’hiver, ce sera 20 cm de neige soufflée sur les routes dudit col et des plaques de glace qui me feront grimper une partie de la route à côté de mon vélo et des fois, sur le cul.

Personne n’est au top, mais Nikita, le plus jeune du groupe, est bien mal en point. Son estomac lui a déclaré la guerre et ses forces l’ont quitté. Le peloton se scinde en deux. Nikita et moi, nous fermons la marche et on poussera son vélo les deux sur la partie gelée du col. Il faudra plus de 4 heures pour venir à bout des lacets et la descente est glaciale mais la vue est… incroyable. Nous débouchons sur un haut plateau fouetté par un vent violant. Pas de végétation, juste une herbe rase, brunâtre qui ne retient pas la neige qui court dans le vent. Les montagnes se dressent en gardiennes de ce lopin de Terre. Notre Monde me semble bien loin. Un seul village sur la route, nous nous arrêtons pour manger et je décide de quitter le groupe. Ma solitude et mon indépendance me manque. Et les désaccords se font de plus en plus ressentir. Les russes restent au chaud, je reprends le chemin. La nuit sur le plateau sera inoubliable. Un ciel magique, pas une voiture, rien. Sauf un vent glacial qui gèle mes bouteilles d’eau, mon réchaud et mes os. Au petit matin, après avoir croisé mes premiers yaks, le bon sens me dit de faire du stop. Un camion me prend moi et ma monture pour deux cent kilomètres. La route que nous traversons (et que j’aurais dû prendre) est couverte de neige, le vent fouette et renverse tout sur son passage, même certains camions. Ouille, je ne suis pas prêt pour un hiver comme cela. Les questions se bousculent dans ma tête. Est-ce vraiment une bonne idée de traverser le pays en hiver ? Où est-ce que je vais trouver le plaisir de rouler ? Comment je vais dormir par un froid pareil ?

Entre désert et montagnes, mon coeur balance..

OH OUI!

Plus de 1000km sur les autouroutes chinoises

Lorsque que le camion me dépose, je suis au chaud (-10° en moyenne) et je reprends la route. Plus d’une semaine passe sans trop de problème. Les 20’000 km sont atteints et je me familiarise avec ce grand pays. Les gens sont ouverts, curieux et plein de bonne volonté pour communiquer malgré la GROSSE barrière linguistique. Mais voilà, ce qui devait arriver arriva… Je craque, je perds les pédales (au sens propre et au figuré), j’arrive à bout… Le vent me cloue sur place. Il m’empêche d’avancer. Impossible de pousser mon vélo pendant les rafales qui m’obligent à me mettre en boule pour me protéger des déchets transportés dans l’air. La nuit, ma tente ne fera pas mieux que moi. Elle se cabre, se plaint, grince et « tente » de s’échapper m’obligeant à sortir une dizaine de fois pour replanter les sardines. Une journée sous ce vent, une nuit sans sommeil et un matin glacial à pousser mon vélo me feront passer les limites de ma résistance. Après être tombé dans un fossé dont je mets plus de 20 minutes à sortir, je baisse les bras. Le cul sur le béton gelé, la tête entre les mains, je lâche tout. D’abord colère et cris contre le vent, ensuite ras-le-bol et quelques larmes contre l’incompréhension de la situation, puis l’interrogation vient : Qu’est-ce que je fou ici ? Je me laisse aller, ne sers plus les dents. L’envie d’être partout ailleurs mais surtout loin d’ici me font lâcher des sanglots qui sont, peut-être, restés depuis bien trop longtemps bloqués et c’est une tonne de pierre qui glisse doucement des épaules. Le temps passe, le vent souffle et « lave » ma rage. Le moral et l’optimisme reprennent le dessus, doucement. Mais la journée est finie, je n’ai plus l’envie de rouler pour aujourd’hui. Je veux juste m’évader, m’enfuir de ce vent, il gagne la manche et je déclare forfait.

Un camion me prend pour plus de 700 km, un saut dans le parcours, une parenthèse. Les pensées s’embrouillent, une sorte de brouillard s’installe dans ma tête, je suis en léthargie. Me voilà face à mes responsabilités, à mes choix, qu’est-ce que je vais faire pour la suite ? L’hiver vient de commencer, les fêtes arrivent à grand pas et je serai loin des miens pour la deuxième fois depuis le départ. Les questions d’ il y a quelques jours ne trouvent toujours pas de réponse. Alors n’ayant pas de révélation ou de solution, je décide de prendre des petites décisions. D’abord, faire un jour de pause et le trajet en camion s’arrête à Jayuguan , où sont les filles. Quel plaisir de voir des têtes connues ! Et comme prévu, après un jour de repos, nous reprenons la route entre helvètes pour une semaine. L’arrivé à Yinchuan correspond à la fin du mois de visa que le consulat m’a accordé. J’entame la demande d’extension et je dis au revoir aux demoiselles qui continuent leur route. Quelques jours sont nécessaires à l’administration pour le prolongement du sésame. C’est ainsi que je me retrouve seul avec mes interrogations. Où vais-je ? Aucune idée, mais la décision d’arrêter n’est pas imaginable même si elle m’a (légèrement) traversé l’esprit ces derniers jours. Non ! Ce voyage m’apporte beaucoup trop, et je n’ai pas le sentiment d’avoir fini. Pékin est si proche, c’est le prochain but, mon but. Quelques 2000 km et je verrai après. Pas après pas, lentement mais sûrement. C’est dans cet esprit et avec un moral serein et résolu que je reprends la route pour un deuxième mois en terre de Chine.

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Dans le resto où je fait presque tous mes repas, à Yinchuan

5 Réponses à Premier mois chinois

  • Yalena

    Merci Chris pour tes posts, tu as le courage d’expliquer et d’analyser même quand la situation n’est pas rose, et tu as l’air de profiter de ton voyage comme d’un long apprentissage. Nul doute qu’il t’apporte beaucoup !!! Bonne route jusqu’à beijing !

  • audrey

    Salut Chris!

    Tout d’abord Bonne Année 2013!
    Ensuite: Courage pour ce deuxième mois, à te lire on peut voir que tu es plein de force morale et physique, d’envie et de détermination!
    Enfin, tu peux être super fier d’être arrivé à faire tout ce parcours! félicitations!

    je te souhaite plein de belles découvertes pour la suite! enjoy!

  • Chanson

    votre courage est incroyable, ici c’est aussi l’ hiver avec un peu de neige mais moins froid

    bonne route SIMONE

  • Falloirt

    *les sons changENT

    (vous pouvez rajouter mon nom dans la liste des correcteurs : Francois Falloirt;))

  • […] de train, un après-midi et une nuit entière pour arriver aux portes du Tibet. Pendant le trajet, nous repassons par Yinchuan. Cette ville que j’avais tant appréciée lors de notre premier passage en Chine. Du coup, la […]

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