36 heures dans un jardin d’école

« Avez-vous remarqué comme les jours passent, longs ou courts, selon l’humeur des gens et les incidents qu’ils apportent ? »
Harry Bernard

Dimanche 11 mai 2014. Après avoir quitté Phnom Penh et parcourus très exactement 82,34 kilomètres, j’arrive dans un jardin. Il est 16h24 et on me regarde comme un extraterrestre. Voilà, vous êtes dans l’ambiance. Le rendez-vous était pourtant donné avec Sokha pour faire une animation dans l’association qu’il a créée: Children with Hope for Development. L’école est bien là, à côté d’une petite ferme. Les habitants me regardent perplexes et moi, je demande Sokha. Sourire, rire et un coup de téléphone plus tard, j’ai mon bonhomme, qui parle un très bon français, au bout du fil.

– Oui, c’est bien là!

– Non, l’école ne commence que demain…

– Mais viens dormir en ville!

La ville, Takeo, à 9 km du village de Po, où je me trouve actuellement. Pour s’y rendre, il faut traverser des rizières sèches saupoudrer de cocotiers solitaires et remplis de vaches graciles. C’est beau, mais la perspective de revenir en arrière ne m’enchante pas trop…

Rizières pas si sèches

Rizières pas si sèches

– Dis Sokha, je peux pas planter ma tente dans le jardin et on se voit demain midi?

– Tu es sûr que ce n’est pas un problème?

– Ok, merci! alors à demain!

Le téléphone change de main, on me sourit, on rit encore une fois. Me voilà accueilli par une petite famille, La grand-mère, le père et la mère et deux trois ados qui après déductions doivent bien être les enfants. Un jeune parle quelques mots d’anglais, les présentations sont faites et après avoir épuisé notre vocabulaire en commun, je choisis de planter la tente derrière la salle de classe et de m’étendre dans un hamac qui me tend les bras. Bercé par le doux balancement, je regarde les mangues au-dessus de ma tête et m’endors gentiment… Une moto s’arrête à côté de moi, j’ai les yeux qui collent et Sokha me tend la main.

– Oui, je sais que l’on devait se voir demain, mais bon ce soir c’est bien aussi!

379964_571742096193781_605982460_n

Sokha, l’homme de la situation

Et me voilà en train d’écouter son histoire. Ce Cambodgien me parle de sa vie, de ses envies et de ses rêves. Il a grandi dans une famille de paysans qui cultivais le riz dans la région. Et son destin aurait pu être le même que des millions d’enfants d’Asie mais les Khmer Rouge ont pris le pouvoir dans son pays et son destin et celui de sa famille va basculer… Son père et ses oncles se font arrêter par le régime et il ne les reverra jamais… Élevé par sa mère seule, il vit avec ses sœurs de ce qu’il leur reste. L’éducation n’est pas la première des priorités du nouveau gouvernement et sa famille survit plus qu’elle ne vit…

Alors commence un récit fait de combats, de têtes droites, de fierté et de volonté. Les régimes et les gouvernements se succèdent, mais la vie reste très difficile. Le jeune Sokha se bat pour aller à l’école, pour rattraper son retard et pour avoir des droits. Il se passionne pour les langues, apprend le français au lycée, l’anglais à l’université qu’il enseigne ensuite dans différentes écoles puis, il part pour Phnom Penh pour faire traducteur pour diverses organisations. Il acquiert compétences, diplômes et contacts.

Et le voilà de retour dans sa région natale pour créer son association. C’était-il à quatre ans.

– Qu’est-ce qu’il t’a poussé à revenir et à créer cette école?

– Tu sais, les jeunes des campagnes n’ont vraiment pas beaucoup de chance d’avoir une vie facile. L’enseignement dans les écoles publiques n’est pas très bon. Les professeurs ne sont pas bien payés et peu motivés et les enfants ont de grands problèmes pour apprendre l’anglais et les mathématiques par exemple. Alors, j’ai envie de leur offrir de meilleures chances pour pouvoir trouver un bon travail et peut-être réaliser leurs rêves.

Il poursuit :

– Une Française m’a parrainé lors de mes études, cela m’a vraiment beaucoup aidé. J’ai pu payer mes études et continuer à avancer. Et maintenant, j’aide les autres, c’est aussi un rêve qui se réalise pour moi.

Children with Hope for Development est une association non gouvernemental reconnu publiquement par le Cambodge. Voilà comment elle se présente :

« Children with Hope for Development (CHD) est une organisation à but non lucratif située dans le village de Po, près de la ville de Takeo au Cambodge. CHD est un organisme de bienfaisance dont l’objectif est de fournir des programmes d’éducation gratuits pour les enfants pauvres et vulnérables du village de Po et de ses environs.

Notre programme est dispensé en complément de l’école publique. Les enfants ont la garantie de pouvoir assister aux cours de CHD gracieusement. L’objectif est de rompre le cycle de la pauvreté dans nos villages ruraux en donnant à nos jeunes les outils pédagogiques pour rivaliser avec les enfants des écoles urbaines et privées. L’école de CHD fournit principalement des cours d’anglais, de mathématiques ainsi que d’informatique. Une connaissance de l’anglais est obligatoire pour avoir accès à l’enseignement supérieur et pour de nombreux emplois. Les objectifs de l’organisation sont de protéger et d’améliorer les droits fondamentaux des enfants, particulièrement dans l’éducation, dans un cadre sain et sécurisé.

CHD s’engage à fournir l’enseignement de base aux enfants en difficulté en surmontant les obstacles qu’ils soient financiers, intellectuelles ou encore environnementales. Le projet du village de Po a été créé pour aider les enfants analphabètes, pour leur offrir des opportunités professionnelles et pour contribuer au développement de notre société et de notre pays, le Cambodge. »

Sokha m’explique qu’il a tout fait lui-même, avec l’aide des volontaires de passage et des fonds récoltés à l’étranger. Au début, il n’y avait pas grand-choses mais, maintenant trois enseignantes travaillent pour l’école, il y a une salle de classe, une petite salle informatique et des toilettes.

Il sourit et me dit encore:

– Tu sais, il reste encore beaucoup à faire…

Moi, petit suisse, qui a eu toujours tout à portée de main et la vie facile, je ne peux être qu’admiratif. Devant cette volonté à toute épreuve et cet altruisme sans limites. Un belle exemple de vie, encore un!

La fin de la soirée s’achève sur un repas à la belle étoile et par une nuit fraîche dans ma tente.

Couché de soleil près de Takeo

Couché de soleil près de Takeo

Le lendemain matin, j’aide Sokha pour la traduction d’un document pour une récolte de fonds afin de faire construire une nouvelle salle informatique. L’après-midi est consacré aux animations. Une centaine d’élèves curieux et surtout motivés m’écoutent conter mes aventures. Les dessins sont magnifiques et je vois, dans ces regards, dans ces petites princesses et ces petits bonshommes, le rêve de Sokha qui se réalise. Le futur de son pays qui se prépare et qui s’arme pour relever des défis qui s’annoncent difficiles. Mais grâce à des personnes comme Sokha, ces défis s’annoncent peut-être difficiles mais pas impossibles à relever.

Petit homme bien content de venir dans cette école

Petit homme bien content de venir dans cette école

Un grand merci à lui et aux enfants. Et si d’aventure, vous vous intéressez pour cette association, n’hésitez pas à faire un tour sur le site. Et n’oubliez pas, Sokha cherche des volontaires pour venir l’aider dans sa démarche au Cambodge. Une autre manière de voyager utile et en immersion totale.

Quelques photos de l’animation:

l'heure du dessin

l’heure du dessin

Une maison sous les crayons

Une maison sous les crayons

Un dessin de plus pour ma sacoche

Un dessin de plus pour ma sacoche

Sokha en action

Sokha en action

...

Petite fille qui présente son dessin

Petite fille qui présente son dessin

Un beau moment de partage

Un beau moment de partage

Dessin d'un enfant de 8 ans

Dessin d’un enfant de 8 ans

11 ans

11 ans

 

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *