Washington State, le Début États-Unis

« Ça arrivait toujours, à un moment ou à un autre, il y en avait un qui levait la tête… et qui la voyait. C’est difficile à expliquer. Je veux dire… on y était plus d’un millier, sur ce bateau, entre les rupins en voyagé, et les émigrants, et d’autres gens bizarres, et nous… Et pourtant, il y en avait toujours un, un seul sur tous ceux-là, un seul qui, le premier… la voyait. Un qui était peut-être là en train de manger, ou de se promener, simplement, sur le pont… ou de remonter son pantalon… il levait la tête un instant, il jetait un coup d’œil sur l’Océan… et il la voyait. Alors il s’immobilisait, là, sur place, et son cœur battait à en exploser, et chaque fois, chaque maudite fois, je le jure, il se tournait vers nous, vers le bateau, vers tous les autres, et il criait (adagio et lentissime) : l’Amérique. Et puis il restait là, sans bouger, comme s’il devait rentrer dans la photo, avec la tête du type qui se l’est fabriquée tout seul, l’Amérique. Le soir après le boulot, et des fois aussi le dimanche, son beau-frère l’a peut-être un peu aidé, celui qui est maçon, un type bien… au départ il voulait faire juste un truc en contreplaqué, et puis… il s’est laissé entraîner et il a fait l’Amérique… « 
Alessandro Baricco, Novencento

Et nous sur notre petit ferry, c’est un peu de cela que l’on a ressenti… Un moment qui s’arrête, un moment où l’on se dit que l’on arrive sur la terre de toutes les possibilités, du pays où les rêves se réalisent. L’Amérique… Et je suis un peu comme ce type qui voit se pointer ce bout de terre en premier. Je me suis laissé entraîner… Au début, ce n’était qu’un voyage, un peu ambitieux je l’avoue mais rien qu’un voyage du point A jusqu’au point A. Tirer une ligne droit ou presque sur une map monde histoire de réaliser une ambition, un souhait, un rêve. Et puis je me suis laissé entraîner. En direction du point A, je suis passé par le point B un peu plus au nord, puis je suis resté cinq mois au point C. De là, je suis partie au point D qui n’était de loin pas sur ma route et j’ai tourné autour du point E sans jamais l’atteindre. Et ainsi de suite, contours, ellipses, parallèles, perpendiculaires, tangentes et j’en passe. J’ai révisé ma géométrie sur la carte du monde… Et je l’ai créé, ce rêve de toutes pièces, de toutes ses idées un peu folle que j’ai eues en chemin faisant. Et je l’ai presque fait, ce tour du monde. Et les États-Unis, en face, de ce bateau, c’est la dernière forme géométrique à poser sur le monde, sur mon monde. Ce monde plein de promesses, de tours et de détour m’appelle et me rappelle que je suis sur le chemin du retour, de la réalisation de ce rêve.

Un nom de rue qui inspire!

Un nom de rue qui inspire!

C’est donc avec Alessandro Baricco (que tout le monde devrait, une fois dans sa vie, lire) et avec ces pensées et cette tête du type qui voit, en premier, l’Amérique que j’arrive dans l’État de Washington. Kris mon compère vacancier est motivé comme jamais et on roule sur les grosses routes remplies de belles et imposantes bagnoles. La pluie s’en mêle et la motivation en prend un sacré coup. Kris me dit :

– Et si on allait se faire une bouffe à Seattle.

– Ce n’est pas vraiment sur notre route…

– On loue une caisse et on laisse les vélos sur place, puis on revient les chercher, cela serait con de louper Seattle non?

Seattle, nous voilà!

Seattle, nous voilà!

Mon compagnon marque un point et c’est comme ça que l’on s’est retrouvé pour la deuxième fois de la journée sur un bateau avec cette impression d’arriver dans le pays d’où tout est possible. Essayez une fois de débarquer dans une de ces grandes villes remplies de gratte-ciel, par la mer. Seattle, Vancouver, New York, San Francisco et tant d’autres, essayez donc. Et vous comprendrez où je veux en venir. Nous admirons les buildings qui se dressent fièrement au-dessus de la baie. La tête dans les nuages, ils nous accueillent et nous, on se tord la nuque en se décrochant la mâchoire tellement c’est haut et beau. Une fois à terre c’est la tête en l’air que nous avançons. Et histoire de marqué le coup, on grimpe au 73ème étages du plus haut building du centre-ville pour admirer Seattle de nuit. Et nous ne nous arrêtons pas là et nous partons pour le Space Needle de croquer un moreau. Enfin, dans ce genre d’endroit, on savoure plutôt un pavé de saumon sur une belle assiette blanche avec une vue tournant sur tout l’horizon. La pluie frappe sur les fenêtres et le vent grince pendant que nous, bien tranquillement, nous dégustons un petit verre de blanc. Je suis bien loin de ma tente et de ma vie sur la route. Kris m’offre un moment hors normes que j’apprécie énormément. Je déguste ce moment de luxe en refaisant le monde avec un ami. La vie a du bon.

La vue depuis le ferry

La vue depuis le ferry

Seattle by night from the sky

Seattle by night from the sky

Le lendemain, back on the road comme on dit dans le coin. Premiers coups de pédale sérieux chez l’oncle Sam. De la pluie au programme au milieu des forêts et des bouts de côtes. Nous roulons à deux vitesses entre les éclaircies et les douches froides. Mais nous bouclons une belle étape de 150km qui met le sourire au Kris. Et malgré la pluie, j’admire ce pays que je ne connais seulement depuis mon petit écran. Je tombe amoureux de ces grands et longs ponts en ferraille et de ses petits dîners, ces restaurants où les gens du coin viennent boire leurs cafés noirs et où la serveuse vient vous resservir dès que votre tasse est vide. Nous roulons ainsi entre pluie et lumière, entre moments de fascination et moments de tête dans le guidon jusqu’à Astoria. Ville qui nous offrira une merveilleuse soupe et un moment au chaud et où nous entrerons dans la suite en passant en Oregon.

George Washington est passé par là!

George Washington est passé par là!

Un petit bout de côte sous le soleil

Un petit bout de côte sous le soleil

Grand pont avant l'orage

Grand pont avant l’orage

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *