Russie, épisode 6: Repos forcé !

Le programme est ambitieux. Faire le tour de la moitié du lac Baïkal avant de rejoindre la Mongolie. Comment ? Très simple. L’idée est de rejoindre l’île d’Olkhone (se prononce d’Olronne) depuis Irkutsk et de là, prendre un bateau pour rejoindre la côte Est. Ensuite simplement redescendre jusqu’à Ulan-Ude pour rouler jusqu’en Mongolie.

La zone que je m’apprête à traverser est peu habitée. De la forêt au début puis de la steppe avant de rejoindre la côte. Avant de quitter Irkutsk, je fais le plein de pâtes, riz, patates et autres conserves. Je m’équipe même d’hameçons et de fils de pêche pour pouvoir taquiner l’Omoule, poisson endémique du lac. Je suis prêt, mais comme toujours les choses ne vont pas vraiment se passer comme je l’avais prévu…

Avant dernière nuit dans la tente...

Avant dernière nuit dans la tente…

...

Après cinq jours de vélo, je me retrouve à l’hôpital… Oh, rien de très spectaculaire vous savez, mais laissez-moi commencer par le commencement.

Après une belle journée, je me retrouve dans le village de Yelantsé. Petite bourgade d’un peu plus de 500 habitants. Le coucher de soleil est proche, fourbu, je me décide à manger dans un des cafés qui longent la route. Un bon bol de pelmeni (ravioli en soupe) et des blinis pour le désert, je me fais exploser l’estomac avant d’aller planter ma tente à la sortie du village. En pleine nuit, mon ventre me réveille. Des douleurs qui clouent sur place me parcours tout l’abdomen. Impossible de dormir. J’essaye de me tourner et à chaque mouvement, des remontés acides me brûlent la gorge. Pas très confortable comme situation et après une petite heure à serrer les dents, je me décide enfin à prendre un cocktail de médicaments. Antivomitif, quelque chose contre les crampes d’estomac et un contre-douleur pour accompagner. Cinq minutes plus tard, terrassé par le mélange, je m’écroule dans un sommeil sans rêve.

Au petit matin, les douleurs sont toujours là mais plus discrètes. J’arrive à démonter la tente et à préparer le vélo pour la journée. Me voilà sur la route, je roule tranquillement et après moins d’un kilomètre, je dois bien me rendre à l’évidence, je n’arriverai pas à rouler aujourd’hui… J’ai moins mal, mais à chaque coup de pédale, des élancements sur le côté droit m’empêchent d’avancer. Il faut rebrousser chemin et trouver une pharmacie dans le village précédent.

À la pharmacie : personne ne me comprend. On parle le russe et mon vocabulaire, qui est surtout constitué de mots pour désigner de la nourriture m’est inutile. Après plus de 30 minutes, on m’indique la polyclinique…

À la polyclinique : par chance, je tombe sur la seule personne qui parle anglais du bled. Une doctoresse qui prend le temps de m’ausculter. D’après moi, ce n’est que des crampes dues à la somme astronomique de nourriture que j’ai ingurgitée la veille. Elle n’est pas de cet avis… Je dois aller à l’hôpital voir un chirurgien, UN CHIRURGIEN ? Elle dit le mot appendicite. Mais l’appendicite, ce n’est pas à gauche non ?

À l’hôpital : me voilà avec un nouveau mot dans mon vocabulaire russe : « appenditsit » (facile c’est comme en français). Le chirurgien, un bonhomme de 102 ans ou presque m’annonce le verdict : opération dans trois heures. Et là, bizarrement, il se passe beaucoup de choses dans ma tête, mais je reste très calme. Je pense d’abord à mon visa, mais c’est tout bon, il reste un peu près trois semaines. Puis, les assurances, et là, pas de souci, je suis couvert complètement pour ce genre de choses. Mes proches ? Un coup de fil à maman pour la rassurer et pour qu’elle prévienne le reste de la famille. Je me sens prêt et de toute façon je n’ai pas trop le choix. Alors, je règle les derniers détails avec le docteur et me prépare pour l’opération.

Et la préparation, là c’est quelque chose de pas très commode. Il reste deux heures, et j’ai sacrément envie d’une douche avant de passer au bloc. Après cinq jours sur la route, la crasse recouvre presque toute la peau. Mais pas de douche dans cet hôpital ! (parlons un peu du bâtiment, deux étages, en bois, avec un seul WC qui fonctionne pour les 50 personnes présentes). Mais on m’écoute et on fait chauffer de l’eau dans un seau. Bien suffisant pour se décrasser. Puis, on me présente la chambre et mes colocataires. Le lit date d’avant l’Union Soviétique. Du métal et des ressorts qui supportent un matelas de 5 cm. Les murs perdant leur peinture bleue qui tombe par-ci par-là à cause de l’humidité. Une grande vitre laisse passer la lumière, mais on ne peut ouvrir qu’une petite lucarne pour chasser l’air qui empeste les médicaments et la transpiration. Mes quatre compagnons de galères me regardent arriver d’un air ahuri. Il y a le « chef » de chambre qui s’occupe de tout contre des cigarettes et de la nourriture. L’ancien prisonnier, qui a les bras et les mains couverts de tatouages et qui insultera, depuis son lit, un peu près toute l’humanité, y compris moi. Le bavard, qui me parlera de tout et de rien pendant toute ma convalescence. De sa vie, de ses blessures, de ses amis, de sa maison, etc. et que je ne comprendrai pas, ou presque. Et pour finir le petit jeune qui passera ses nuits à me regarder assis sur ses toilettes portables installées à deux mètres de mon lit.

Après les présentations d’usage, une infirmière m’apporte un rasoir et me dit :

– opération dans cinq minutes, va te raser !

Je dois m’y reprendre à trois fois pour « tondre » sans eau, ni savon, les 20 cm carrés de peau nécessaire. J’ai pris du retard et l’infirmière, pour gagner du temps, me demande de me déshabiller dans le couloir. Me voilà nu devant toutes les infirmières de services et quelques mamies hospitalisées, elles aussi. À ce moment, je me sens très seul…

On me donne un drap, je m’empresse de m’enrouler dedans et on me pousse vers le bloc opératoire. La salle est comme l’hôpital. Simple et vieille. Il n’y a rien, à part la table d’opération et un moniteur. Tout est d’un blanc immaculé. Trois personnes m’attendent. On m’ordonne de monter sur la table. Je me défais de mon drap, j’ai froid. Personne ne parle un mot d’une langue qui m’est familière. On m’attache les bras et on commence à me faire des injections. Le temps file, je reste couché à grelotter pendant une dizaine de minutes, peut-être moins, peut-être plus, je n’ai aucune idée. Tout le monde à son téléphone portable dans la main. Ils jouent ou envoient des messages, je n’en sais rien. Le chirurgien n’est pas là, on doit attendre… C’est à ce moment- là que je commence vraiment à prendre conscience de ce qui se passe. Avant, on me poussait pour me préparer mais là, nu sur le métal froid du bloc opératoire, j’ai le temps de réaliser. Dans quelques minutes, des personnes vont m’ouvrir pour me soigner. C’est bien mais c’est assez effrayant quand on ne sait pas ce qui va se passer exactement. Que personne ne peut expliquer les détails. Qu’il n’y a personne pour me tenir la main ou simplement me dire que tout va bien se passer. C’est long et j’ai envie de m’en aller… mais les premières injections font leur effet et je commence à perdre un peu la boule. Dans mes souvenirs, je me mets à parler russe comme jamais. Je demande à parler à chacun, leur demande leurs noms, s’ils sont mariés . S’ils ont des enfants . Depuis combien de temps font-ils ce travail ? Impossible d’arrêter de poser des questions, je veux connaître tout le monde et qu’ils me connaissent avant qu’on m’opère. Comme si, en partageant ce petit moment d’intimité, je pouvais leur faire confiance et qu’ils feront attention à moi… Mais l’anesthésiste fait une dernière injection avec une seringue pleine d’un liquide bleu. Je me sens partir mais tente de résister. Je veux encore parler à ces gens-là. Je serre les dents et regarde les derniers millilitres s’échapper dans mon corps…

… et je me réveille en pleine nuit dans mon lit. J’ai un peu mal et soif, très soif ! Je devrai attendre deux jours avant de pouvoir boire un tout petit peu d’eau… Ce sera le plus dur de toute cette histoire.

Huit jours passent avant que je puisse sortir. Comme ça, ça a l’air dramatique, mais je m’en sors plutôt bien. Les infirmières de nuits m’ont à la bonne et dès que je peux recommencer à manger, j’ai droit à du poisson frais et à un peu plus de chocolat. Mes compagnons de galères me font passer le temps et puis sinon je dors et récupère. Mon assurance appelle tous les jours et un médecin répondra à toutes mes questions. Non, tout s’est bien passé et je n’ai pas à me plaindre. Après la peur de l’opération, l’optimisme reprend le dessus et je me rends compte que je suis passé tout près de la catastrophe. Dans mon lit, je me rends compte que j’aurais pu être loin de tout, sans possibilités que l’on me prenne en charge dans un hôpital. Au lieu de cela, j’ai campé à 10 minutes du seul bloc opératoire à 200 kilomètres à la ronde. J’ai eu de la chance et je m’en sors vraiment bien. Quand on me laisse partir, les consignes sont claires. Pas de vélo pendant minimums trois semaines… Je dois faire l’impasse sur de très beaux kilomètres au bord du lac Baïkal et en Mongolie. C’est le prix à payer, mais il faut que je me remette correctement si je veux continuer mon voyage. Et je décide de me rendre en bus sur la belle île d’Olkhone pour prendre du repos avant de retourner, toujours en bus, à Ulan-Ude.

Pas de photo du l’hôpital mais les plages de l'île c'est mieux!

Pas de photo du l’hôpital mais les plages de l’île c’est mieux!

...

Dernière photo du lac...

Dernière photo du lac…

Une question vous trotte dans la tête peut-être ? Pourquoi je ne suis pas rentré ? Déjà, l’appendicite s’opère en urgence donc pour cela, pas eut le choix. Puis rentrer et faire la convalescence en Suisse, je me suis dit non. J’y ai seulement pensé après quatre ou cinq jours. Et d’ailleurs cela m’a vraiment surpris que je n’y pense pas avant. Et je me suis rendu compte que si cela ne m’avait pas torturé l’esprit, c’est parce que, en définitive, la maison, c’est la route. Mon quotidien est le voyage et je ne m’imaginais pas retourner en Suisse pour me soigner alors que je suis parti depuis plus de deux ans. Si j’avais été au début de mon périple ou s’il y avait eu des complications, j’aurais demandé à être rapatrié, mais là, comme tout s’était bien passé et que j’avais plus le mal de la route que le mal du pays pendant les longues journées d’hospitalisation, je suis resté sur place.

Maintenant, tout va très bien. Je suis plus léger de 143 grammes et compte bien exploiter cette perte de poids pour rouler plus facilement vers d’autres horizons. J’écris ces lignes depuis la Mongolie, j’y suis arrivé en transport public et ce fut une sacrée aventure… mais je vous garde cela pour le dernier épisode de votre feuilleton de l’été !

5 Réponses à Russie, épisode 6: Repos forcé !

  • Jenny Bolay

    Cher Chris,
    Quelle aventure… Maintenant au moins, tu sais que l’appendicite se trouve du côté droit!
    Notre classe est en vacances depuis le 4 juillet mais je suis sûre que les élèves pensent si souvent à toi que tu dois presque les entendre.
    Je me réjouis de connaître la suite de ton voyage en Mongolie, bon vent!
    Jenny

  • Maxime

    Courage Chris !

    Je te suis depuis bien longtemps, et il a fallu une crise d’appendicite pour que je commente un de tes super article, alalala !

    Continue comme ça, tu vends du rêve 🙂

  • Valéryne

    Salut Chris!
    C’est marant, quand on racontait ton histoire, la 1 ere chose que les gens disaient  » pourquoi n’est-il pas rentré? ». Et nous, ça nous avait même pas traversé l’esprit!!  Comme quoi la Route est vraiment notre chez nous! Plutôt pas mal comme maison, on est chanceux!  Courage, on pense bien à toi. Val et Luc

  • frances

    Putain Chris, que d’histoires! Sarah et moi on pense souvent a toi! On attend les prochains épisodes avec beaucoup d’impatience?
    Bises!
    Sarah et Antoine rencontres a la sakura GH de bishkek!

  • Mongolie: La Steppe

    […] temps que j’ai pris à Oulan-Bathor, capitale de la Mongolie, pour être fin prêt à rouler après l’opération de l’appendicite que j’ai subie en Russie. Deux semaines de repos mais aussi d’administratif. Un nouveau visa orne la page 34 de mon […]

Laisser une réponse

Your email address will not be published. Required fields are marked *