« Nos valises cabossées s’empilaient sur le trottoir; on avait du chemin devant nous. Mais qu’importe: la route c’est la vie. »
Jack Kerouac, sur la route
Quitter San Francisco ne fut pas choses aisé… Et après moins d’une journée d’effort, entre trafics, métro et montées, je stoppe à Berkley chez des étudiants. Accueilli par Kendra, l’amie d’un ami cyclovoyageur, je refais le plein d’énergie et de partage.
Puis vient le moment de décoller vraiment, de quitter cette ville qui m’en a mis plein les mirettes. Un col, une piste, un tunnel évité et je perds l’océan de vue… Cap sur l’Atlantique, nouvel objectif pour les mois à venir mais avant, c’est le plein de parcs nationaux qui m’attend.
Le premier parc sur la liste est Yosemite, des montagnes légendaires et des forêts magiques. Avant, il reste pas mal de chemin et j’engage une course contre l’hiver. Novembre est bien installé et les routes de certains cols ferment pour laisser place à la neige alors il faut pousser sur ces pédales ! Quelques villes, des vignobles, des routes quadrillées entre les champs, je découvre une autre Amérique, plus rurale, plus rustique et plus chaleureuse. Je tente de visiter des écoles, mais dans ce pays où des drames arrivent trop souvent dans les établissements scolaires, rien n’est facile. On me demande de montrer patte blanche, d’avoir des recommandations et un extrait de mon casier judiciaire signé par le shérif du coin…
– Heu, est-ce que c’est possible de juste voir le proviseur ?
– Non, non, il est très occupé…
Mais dans la petite bourgade de Linden, ledit proviseur était dans le couloir et c’est bingo. Point de dessin mais un speech de 20 minutes avec les lycéens sur mon voyage et mes motivations. Toujours bon de partager de l’expérience et du rêve avec des adolescents.
Puis, une fois la route reprise, les montagnes se profilent devant moi. Un petit col, un gros col et me voilà aux portes du parc national.
Yosemite, un détour, mes jambes qui grossissent tous les jours et des routes que je savoure
Le spectacle commence et mes jambes se plaignent de toute cette montée tandis que mes yeux ne savent plus où donner de la tête. L’automne à bien marquer son territoire dans le coin et la forêt s’est paré d’or, de roux et de jaune. L’air sent bon l’humus et la fraîcheur me fait avancer. Le Taioga Pass qui permet de passer presque directement dans la Death Valley est là, à l’intersection… mais le verdict est sans appel et la sentence tombe.
– Accusé lever vous ! Sur le chef d’accusation de trois jours de retard sur la fermeture du col, le jury vous déclare coupable ! Vous écopez donc d’une sentence de 350 km de détour et d’une tempête immédiate !
Je quitte le tribunal au sprint et entame une course-poursuite avec le sale temps. Slalomant entre les lignes blanches, je crie de plaisir ! J’ai beau écoper d’une peine longue, ma liberté est intacte et personne ne pourra m’arrête, même pas une tempête ! J’arrive au pied du Half Dome et d’El Capitaine de nuit et la pluie tombe sur ma tente dès son installation. Je suis cloué sur place, j’écris dans mon carnet et je lis. Jack Kerouac m’accompagne durant une journée de pluie battante, il me fait découvrir les États-Unis de l’intérieur, depuis une autre époque. Et il me dit : « Je veux bien vivre n’importe où, j’ai toujours les pieds pas loin de mes pompes, prêt à me tirer, prêt à me faire virer. J’ai décidé de lâcher prise. Toi tu m’as vu essayer, me casser le cul pour réussir, et tu sais que ce n’est pas grave ; on a conscience du temps… On sait ralentir, arrêter de courir, prendre notre pied maximal, à l’ancienne, c’est pas ce qu’il y a de mieux ? On le sait bien, nous. » Je laisse Jack m’envahir pendant ce jour de pluie et le lendemain, j’irai méditer ses paroles en marchant. Et vous savez quoi ? Jack à raison, on le sait bien nous…
Au total, un jour de pluie, un jour de beau, balle au centre, le match reste serrer ! Et je repars pour purger ma peine dans le Sud. Descentes, cols et plat, je roule à travers Fresno. Ville sans intérêt, sans vie, remplie de pas grand-chose. Il faudrait gratter pour découvrir les merveilles de cette cité, mais le vent me pousse et mes yeux sont déjà rivés sur le désert qui approche. Ma route suit les canaux d’irrigation. Je décline l’invitation des « Freeway » et roule sur les vieilles voies mal asphaltées. Au milieu des hérons et des grues qui s’envolent à mon approche, je me laisse absorber par le désert qui m’ouvre son royaume. Une petite halte dans la ville de Bakersfield, où l’eau semble couler à flots au milieu de cette sécheresse californienne et me voilà déjà pas loin de mon prochain parc national.
Death Valley, pas chaud, assez d’eau et moi seul avec mon vélo
Avant d’arriver dans la Vallée de la Mort, je grimpe, encore, toujours. De jolis canyons m’offrent du divertissement et sont de bonnes compagnies. Puis le sec, le plat et la solitude prennent leurs places. Un paysage de mort s’installe mais c’est la vie qui bat dans mes jambes et dans mon cœur. Je suis en forme et loin là-bas, dans mon chez moi, en Suisse, la famille s’agrandit. Une nouvelle qui me rend heureux, qui me pousse en avant et qui donne du sens à l’existence. Le vent me balaye devant lui la journée et les étoiles me font rire la nuit, j’ai beau écoper d’un détour, j’y trouve du sens et de la beauté.
La Death Valley est là et le col pour y entrer me donne quelques difficultés. Vent de face, je médite. Et en haut, le vent, pour se faire pardonner, me propulse dans la vallée. Ici, l’été les températures peuvent atteindre les 50°, il fait sec, le vent chaud vous éponge et de nombreux cyclistes tirent la langue comme mes potes Luc et Val. Mais en novembre c’est une autre histoire. La polaire le soir et le plaisir la journée. Les routes sont autant vides que les étendues des alentours. Peu de touristes et pourtant c’est le meilleur moment de l’année pour visiter cet endroit unique au monde. Et en sortant du parc, j’ai même droit à la pluie et le froid. Il pleut cinq jours par an ici, et j’y ai droit ! La chance est avec moi ou pas… Le reste ce n’est que de la route en schuss pour rejoindre Las Vegas. Une autre histoire…
Et une excellente année à tous, encore un grand merci pour votre soutien tout au long de l’année écoulé. On se voit en 2015!